25 oct. 2011

La ZEP







Ma carrière a atteint son apogée. J'ai l'honneur et l'immense privilège d'exercer en ZEP. Après trois ans de carrière de TZR je vis cette nouvelle affectation comme une consécration. Un prof digne de ce nom, aussi particulier soit-il, ne peut se passer d'une affectation, aussi brève soit-elle, en Zone d'Education Prioritaire. La mienne ne sera pas brève, ce qui rend cet exploit d'autant plus remarquable.

Trève d'ironie.

Exploit. C'est le terme. Après six semaines de travail, que dis-je, de bataille acharnée, je suis tout simplement EXTÉNUÉE. En six semaines j'ai vu tout ce à quoi trois ans d'une carrière déjà bien mouvementée ne m'avaient confrontée.

Le quotidien est rythmé de provocations, de menaces à peine voilées, de cris (de ma part et de la leur) et surtout de médiocrité. A tous les niveaux, l'on cotoît la médiocrité. Celle des élèves ne leur est pas entièrement imputable: ils évoluent dans un univers où on les infantilise en permanence; on ne s'attend pas à grand'chose d'un élève de ZEP alors dès qu'on l'obtient on en fait des tonnes: 17 de moyenne, les félicitations, le statut très enviable de "bon élément". "On peut l'envoyer au lycée, lui!" Et là c'est le drame!

Mis à part ce goût prononcé pour la complaisance, cette course effreinée à la réussite artificielle et cette démagogie institutionnalisée, quelques éléments ont retenu mon attention.

Le langage.
En ZEP, il faut s'adapter vite. Y aller physiquement, répéter, répéter, répéter, menacer, mal parler. Faire des fautes aussi. Les élèves disent "Madame, c'est pas bien ce que vous faisez!", puis poussent un tchip de mépris, avant d'ajouter "Vous nous disez qu'on est paresseux alors nous on va pas réussir dans la vie! Faut nous encourager un peu!" Et puis il faut oublier le sacrosaint "Très bien!". On dit "Bzahtek!" ou rien. En parlant de ça, la tendance à la caricature "raciale" est aussi présente qu'ailleurs: "Les Noirs tous des esclaves!" par ci! "Mamadou avait mal aux dents" chantonné par là! Les accents petit nègre et les traditionnelles références à la "banane" sont une spécialité locale!! Dans tous les cas, le seul moyen de s'en sortir est bien sûr de feindre qu'on n'a rien entendu. Tout le monde est content, la pression est relâchée et le cours peut continuer.

La segpa *
Avoir des segpa, c'est un exploit en soit.  Au bout de deux semaines seulement on se retrouve à séparer deux élèves qui se battent à coups de poing et se promettent les pires atrocités. Entendre un enfant de 11 ans dire "je suis capable de tuer moi!" ça fait réfléchir. Etre obligée de retenir un enfant de 11 ans qui a assez de détermination pour en découdre avec un camarade, avec la ferme intention de lui faire mal, c'est dur physiquement et moralement. On assiste ainsi a sa première bagarre, et pas qu'en tant que spectateur; et on vous promet que ce ne sera pas la dernière! Du coup, on vous regarde comme une petite naïve (ça va, j'ai l'habitude), qui n'est pas au bout de ses surprises: "Elle va en baver la petite!"


La rencontre parent-professeur inopinée.
Deux élèves s'invectivent en classe. Le résolution du conflit est reportée à la fin du cours. Hélas un des protagonistes se fait la belle. La résolution du conflit est reportée au lendemain 8 heures: on est mercredi, il est midi, les établissements s'arrêtent de vivre. Jusqu'ici, tout va bien. Le lendemain en allant chercher ses classes on perçoit des éclats de voix dans le hall, un séisme sonore se produit. On s'approche de l'épicentre: on distingue un femme hystérique et à ses côtés un des protagonistes. Il s'agit de la mère de ce dernier qui vient s'enquérir de l'incident de la veille. Des têtes doivent tomber, tout de suite, maintenant! On est happé soudain car le protagoniste s'est écrié: "c'est elle!" Alors un déluge de cris et de postillons s'abat et vous fige en la posture du spectateur, celui qui n'ose rien dire de peur d'aggraver la situation, de s'exposer, de déborder; on subit, les yeux écarquillés, la bouche ouverte (je rappelle que les postillons pleuvent). Un supérieur vous demande d'aller chercher vos élèves. Il est trop tard: tous ont assisté à cette crucifixion publique, éleves et collègues. Vous ne tarderez pas à recevoir des menaces d'élèves qui comptent eux aussi faire venir leurs parents pour vous faire céder. Vous ne tarderez pas à verser quelques larmes en salle des profs histoire relâcher la pression. Vous ne tarderez pas à perdre toute envie de travailler avec ces gens. Vous êtes en ZEP.

Premier article rédigé depuis mon téléphone portable

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